jeudi 5 octobre 2017

Birmil oktouber

Littéralement en arabe, le tonneau d’octobre, ou le premier octobre aux phonéticiens francophones, un mois des liquides stratégiques, l’eau, l’huile d’olive, sans le vin qui n’existe pas en réalité dans notre économie ou notre culture, une date qui reflète un rendez vous ultime. Celui qui possédait une citerne d’eau de pluie, celui qui avait des terrains pour recueillir cette offrande du ciel et en cueillir les dividendes…avait certainement l’avantage aux richesses locales produites de la terre et des oliviers. Ce rendez vous périodique, qui réglait les années, en année de la famine, année des sauterelles, année du fenugrec, année des grenouilles, année du gareb, année de la grêle, année des inondations, année du guerciss « exercices », année des allemands, année des Inglizz, année de la peste, année de l’exode, année de la pluie d’argile…, une périodicité phénoménale ponctuée par la mémoire collective afin de se situer dans l’espace et dans le temps. Plusieurs paramètres étaient déjà établis et confirmés par l’interprétation religieuse, dans laquelle la nébuleuse sociale nage bien, voltige et se maintien au dessus des déséquilibres sporadiques, ce qui permettrait aussi la légitimation des « happenings » locaux car des tempêtes de grenouilles ou pluies d’argile ne se seraient pas passés au pays des apôtres, pendant que dans chaque région, les hommes avaient besoin de mesurer, quantifier, évoluer leur propre parcours de vie et leur propre champ de vision et d’action. Dans ce nuage social de flottaison interactive en pleine fusion avec la croyance et en totale communication avec les éléments de la vie et les possibilités de survivance, il y a toujours des incursions salutaires au début, mais qui avaient aussi bousculé outrageusement la réalité. A Souihel, comme dans tant d’autres régions du littoral, le tourisme bourgeonna lentement, créant un grand essor économique et un boom de services et d’affairismes. La jungle opaque de palmiers dattiers avait été acheté pour trois fois rien, les puits artésiens irriguant les carrés de sorgho avaient été fermé ou détourné vers les piscines thermales des touristes, les rares puits de surface à l’eau comestible avaient été réquisitionnés pour la construction des hôtels puis carrément ensevelis sous le gravât, les ouvriers lâchèrent leurs faucilles, les marins négligèrent leurs rames, les bergers mirent des vestes….pour servir désormais, tous ensemble, sur leur propre terre, de valets de chambres et de sou fifres à l’ordre mercantile nouveau. Bien sur, ce raz de marée n’épargna rien ni personne afin d’assujettir la paysage humain et même géographique. Alors Abdallah dirigea son chameau vers la plage au lieu d’aller chercher des fourrages à la Choucha, Belgacem descendit du palmier pour jeter sa scie et aller postuler au gardiennage de l’hôtel, Khalifa pris son cheval pour louer sa monture aux touristes sur la plage, le jeune Ali y alla au galop avec son âne trottiner entre les parasols épars. Parmi tout ce monde, certains avaient désormais des salaires modestes, d’autres racolèrent des touristes pour vendre des produits artisanaux, quelques uns prirent le chemin de l’étranger, plusieurs devinrent riches et la société se renferma sur elle-même en défendant ses valeurs tout en laissant de petites brèches comportementales compromissoires. Il y a eu de grandes concessions à ce nouvel ordre mercantiliste mettant tout le cartier et tout le monde dans la machine de la mainmise économique et le consumérisme galopant. Des concessions, franchement subies, miroitaient en contrepartie, plusieurs espoirs de liberté, d’affirmation du soi et de bien être collectif. Un rendez vous avec l’histoire qui tarde à venir comme il fut pour l’un des guides de chameau pour touriste, un homme très ordinaire, qui attendait pendant une vingtaine d’année un rendez vous le premier octobre de chaque saison, au point de le voir dire à chaque question, qu’il se mariera Birmil oktouber, ses amis viendront Birmil oktouber, que le monde sera meilleur Birmil oktouber… Une date, une espérance, un mirage qui aussi personnel était il, faisait l’objet d’une attente collective des promesses de cette nouvelle ère de mise au pas moderne et capitaliste. Ainsi, advint le soit disant changement du sept novembre, advint la fameuse révolution de la brouette….et le rendez vous de Birmil oktouber, n’arrive pas encore et les souhaits d’équité, de justice sociale, de bien être collectif, de paix universelle, restent à attendre. De toutes les façons, comme on le dit bien en arabe, celui qui attend, est mieux que celui qui souhaite seulement. Lihidheb Mohsen Zarzis 05.10.17

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