mardi 3 octobre 2017

Le dernier souffle de sagesse.

Il vient de nous quitter, au gré du vent, avec le temps, le dernier souffle de sagesse commune, acquise à travers les âges, par les diverses intégrations des valeurs locales et de la religion, par l’acceptation de tout ce qui vient d’ailleurs tout en restant authentique grand comme la montagne, par des compromis sans compromissions et par l’action non stop au dessus de la mer et de la terre…. Tout en négligeant le spécisme homme femme, le linéaire patriarcal et réducteur, redonnant à la sagesse son véritable souffle de vie, humain et eternel, c’était une brave qui vient de nous quitter, après une courte période de souffrance et de sénilité. Rgaya Jouini Msallem, épouse d’Abdeslam Msallem, d’une famille modeste de l’oasis maritime de Souihel, était la dernière des vieilles femmes qui s’affirmaient dans une société d’homme, dans un matriarcat de fait au milieu d’un comportemental collectif rural et traditionnel. La vie n’était pas facile, car il fallait composer avec ce qu’offrait la terre dans un climat aride et les possibilités d’exploitation de la mer toute proche. L’oasis était aussi à la rescousse pour subvenir aux besoins des locaux et entre la culture du sorgho et la cueillette des dates pour les hommes et le bétail, il y avait beaucoup à faire. Bien sur, ces éléments de survivance limite, avaient aussi attiré des réfugiés politiques et économiques Libyens ainsi que plusieurs familles de l’intérieur désertique poussées par la sécheresse et la pauvreté. Ici, il faudrait souligner que les habitants de la région, Accara, avaient une relation particulière avec les tribus de Tataouine, qui était normale ou presque avec les tribus Toizines de Bengardane et très modeste avec les Ouderna de Médenine. Des convois de chameaux chargés de dates allaient chaque saison vers l’ouest et le bétail des Jlidett venait aussi passer la période de l’été pour se rafraichir dans l’oasis maritime. Dans cette ambiance, Si Abdeslam, comme touts les autres, allait aussi aux éponges aux prairies fertiles des fonds marins de iles Kerkennah et quelques fois, avec la grande famille, allait au labour et le moisson sur le littoral de la Choucha. Il n y avait pas de riche dans cette petite communauté et les rares féodaux s’étaient convertis automatiquement en Cheikhs, notaires ou parmi les notables. Toutefois, par prédisposition morale et aussi à cause de sa proximité à la mosquée du quartier, il joua un rôle très important de piété et de bonne conduite, sans zèle ni sauts d’humeurs. Les valeurs communes étaient parvenues à un haut niveau de maturité où la fusion entre le religieux, l’éthique et l’action, était totale, ce qui permit une sorte de sagesse acquise, légitime et intégrée. On ne parlait pas de foi, mais on pratiquait ses croyances partout, faisant les prières, sur les lieux de travail même, sur le bateau, dans les pâturages, aux lieux de la moisson….dans une sorte d’action automatique qui évite de parler et de prêcher ce que tout le monde sait, le bien et le mal. Dans ce contexte, Béchir Msallem, le fils ainé de Rgaya, raconta comment une femme étrangère de l’intérieur du pays, était venu voir sa mère dans sa hutte à faire la cuisine du soir, déclarant que ces enfants n’avaient pas mangé depuis deux jours et comment Rgaya, sans hésiter avait versé tout le repas de couscous dans le drap de la femme et lui souffla de ne rien dire et rentrer avec auprès de ses enfants. Grâce à une vie de confiance, d’humilité et sagesse réciproque, il lui avait suffit de dire à son mari Si Abdeslam et toute la famille, que malheureusement le repas s’était renversé par terre accidentellement, ce que tout le monde avait accepté humblement. « Allaghaleb, Maktebich, Ya Si Abdesslem » était une formule suffisante à cet acte de solidarité et de bon voisinage. Tout en saluant très fort ce genre d’attitudes naturelles, foncièrement conviviales et humaines, on ne peut décrire assez le milieu de vie de Rgaya, pour comprendre les caresses de ce dernier souffle de sagesse. Elle était la fille de la fameuse Nehya Lihidheb et avait un fameux beau frère, le mari de l’une de ses trois sœurs, appelé O’mor Lassoued, très connu pour son caractère joyeux et souvent humoristique, au point d’être citer dans les petites histoires locales. Avec seulement de filles, sans garçon pour assurer la filiation linéaire familiale, ce qui était une situation particulière pour la mentalité féodale encore prédominante autrefois. Une fois, on l’avait surpris en train de haranguer son mulet quand il labourait la terre, en disant « Err, alaan oummalik issabaa. ». Ce qui voulait dire que puisque le terrain appartenait à la famille de Rgaya donc sans héritier male, il insultait poliment les sept ayant droit soit, les trois filles, leurs trois maris dont lui-même et la mére Néhya, par équité peut être. Une autre fois, il travaillait à la pêche aux éponges en tant que rameur, avec plusieurs du village, et ils devaient aller vers les mers de Sfax ou celles de Tripoli, pour trouver des fonds marins exploitables. Comme toujours les mers de la Lybie, étaient sous exploitées et les Accara, faisaient souvent des incursions de travail jusqu’à Zouara, Zawia, Tripoli…mais cette fois, ils furent appréhendés par la douane de Zouara et mis carrément en prison. A plusieurs dans la même cellule, chacun parlait de ses préoccupations et souffrait visiblement cette entrave à la liberté et cet empêchement majeur, pendant que Si O’mor, qui n’avait pas laisser grand-chose dehors, qui n’avait que des filles mariés hors de sa responsabilité, ne faisait qu’aller et venir dans la cellule, en souriant et en soupesant la porte en disant « Malla Beb, Malla Blenz ». Quelle porte, comme elle est blindée, quelle serrure come elle est forte, des remarques que ses Co détenus avaient pris comme une provocation sympathique en face de leurs inquiétudes majeures. Ainsi, pour la mémoire de Rgaya, décédée dernièrement, de Si Abdesslem, de Si O’mor, paix à leurs âmes, ces vecteurs véridiques d’une sagesse acquise, ces porteurs de valeurs ancestrales et d’une éthique de vie visiblement stoïque mais très juste, on ne peut que comprendre l’engagement humain et irrévocable de leurs descendants, Si Béchir Msallem et Slah Mzalouat. Un dernier souffle de sagesse, peut être, mais la vie continuera quand même,avec touts le vents et les tourbillons du monde. Lihidheb Mohsen Zarzis 01.10.17

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